La libellule et le philosophe
Un livre d’Alain Cugno
Il me faut bien avouer que, sans l’article sur les libellules rédigé il y a un mois, je n’aurais jamais découvert ce petit livre de 192 pages, réédité en poche en 2014. Une vraie surprise ! Les liens entre le monde des odonates et celui des philosophes ne sont pas si faciles à concevoir et j’ai été bluffée. J’ai trouvé, bien sûr, dans cet essai quantité d’informations sur les libellules, mais aussi des réponses claires à certaines de mes interrogations sur la méthodologie et la recherche. Et ça, je ne m’y attendais pas. Ces quelques lignes ont pour seul but de vous donner envie d’ouvrir à votre tour ce livre étonnant.
Qui est donc Alain Cugno ?
Alain Cugno est né le 23 janvier 1942 à Paris. Après avoir enseigné la philosophie dans plusieurs établissements scolaires, en particulier au lycée Lakanal de Sceaux, il entre en 2011 au Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris. Engagé dans la réflexion sur la justice pénale, il est longtemps rédacteur en chef de la revue Prison Justice. Il est aussi entomologiste, membre de la société française d’odonatologie.
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages : Saint Jean de la Croix (Fayard 1979) ; Au cœur de la raison (Seuil, 1999) ; L’air (Seuil, 1999) ; L’existence du mal (Seuil, 2002) ; La blessure amoureuse (Seuil, 2004) ; De l’angoisse à la liberté, apologie de l’indifférence (Salvator, 2009) ; La libellule et le philosophe (L’Iconoclaste 2011, Albin Michel 2014) ; Comment faut-il s’y prendre pour vivre ? (L’Iconoclaste, 2014) ; Libellules (Klincksieck, 2016) ; avec Jérôme Alexandre, Art, foi, politique : un même acte (Editions Hermann, Paris, Septembre 2017)
À la découverte des odonates
La libellule et le philosophe permet de mieux comprendre le monde de ces insectes si particuliers que sont les libellules proprement dites et les zygoptères (les demoiselles). Il ne fait pas de doute que l’auteur est fasciné par ses créatures ailées qui ne cessent de voler. L’imago a une durée de vie brève, contrairement à la larve. Il n’y a pratiquement pas de libellules adultes avant fin mars et après fin octobre. « Au cours de la saison, chaque biotope est peuplé de différentes libellules. Il en est de précoces, il en est de tardives. » En odonatologie, on parle de cortège : une espèce apparaît presque toujours en même temps que d’autres, les mêmes année après année.
Alain Cugno décrit parfaitement la vie hideuse des larves, qui marchent plus qu’elles ne nagent au fond de l’eau. Et puis, bien sûr, il s’attarde sur l’émergence, la libération, l’envol. « Il y a un autre monde, inouï, qui se déploie, visible à peu près sous 360 degrés, dans tous les plans possibles, grâce aux énormes yeux à facettes. » L’accouplement en forme de cœur est parfaitement expliqué tant par le texte que par l’illustration.
Les illustrations, au milieu de l’ouvrage, sont de Christelle Henault. Pour Alain Cugno, les aquarelles respectent la précision, l’égalité des échelles et la similarité des attitudes. Elles sont plus proches de l’universalité requise que les photos qui présentent la particularité. L’auteur cite Leibnitz : « Car il n’y a jamais dans la nature deux êtres, qui soient parfaitement l’un comme l’autre. » Alain Cugno a donc fait les photos qui ont servi de base aux illustrations, mais a préféré s’en remettre pour le résultat final au talent de Ch. Henault.
Le philosophe au travail
Pour le naturaliste, l’identification des spécimens, ici les libellules, est un exercice obligé, un exercice qui ressemble fort à celui de la traduction. « Vous savez quand vous traduisez bien, quand vous identifiez bien, mais vous ne pouvez pas savoir quand vous vous trompez. » « Il n’y a pas d’autre accès à la vérité que la vérité elle-même. » Ce que décrit Alain Cugno, il me semble que nous l’avons tous, au moins une fois, ressenti dans notre vie.
Ce livre est un trésor pour tous ceux qui s’intéressent à la philosophie, à la recherche ou plus modestement à la méthodologie. Alain Cugno affirme que « la philosophie qui m’intéresse est artisanale. On pose une question et l’on attend de voir ce qui se passe. » Plus loin, il écrit : « Il n’y a pas de plaisir plus grand, dans l’écriture philosophique, que ce moment où le contenu de la pensée se donne sous la forme de la méthode qui permet d’y accéder. » L’étude d’un sujet donné induit sa propre méthode. Celle-ci ne peut pas être préexistante et virerait au procédé s’il en était autrement.
La libellule et le philosophe est un ouvrage qui peut paraître un peu fourre-tout de prime abord, mais qui renferme une profonde cohérence, puisque c’est l’histoire d’une vie et de plusieurs passions qui se rejoignent.

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