Les libellules
Des insectes primitifs à la métamorphose incomplète
Les libellules sont des insectes, comme les mouches, les coccinelles ou les fourmis. Elles ont donc une tête, un thorax et un abdomen. Ces insectes ailés appartiennent à l’ordre des odonates. Il faut distinguer les libellules proprement dites, des demoiselles, plus fines, qui replient leurs ailes, une fois posées. Libellules et demoiselles enchantent nos étés par leur grâce et leur beauté. Pourtant, leur réputation n’a pas toujours été fameuse. Les libellules sont même appelées dragons volants (dragonflies) par les Anglais. C’est dire ! J’ai eu envie d’en savoir plus sur ces insectes primitifs dont l’aspect ressemble beaucoup à celui de leurs ancêtres apparus il y a des centaines de millions d’années. Comme les fougères, ils témoignent d’une période géologique où les dinosaures et les plantes à fleurs n’existaient pas encore.
Les premières libellules
Les libellules et les demoiselles sont, avec les éphémères, les seuls représentants actuels du plus vieux groupe d’insectes connu : les paléoptères. Les plus anciennes traces semblent dater du Dévonien et du Carbonifère, périodes comprises entre 405 et 290 millions d’années. Les méganisoptères, mesuraient 25 cm de long, pour une envergure de 70 cm et un poids de 35 g. Il y a plus de 110 millions d’années, apparaissent les formes les plus proches de nos libellules actuelles, les permodonates. Ils disparaissent, 40 millions d’années plus tard.
Les changements de végétation ont pu influer sur leur disparition de ces proto-libellules : un taux d’oxygène moins élevé et des milieux moins ouverts auraient gêné ces insectes à l’envergure démesurée par rapport à leur poids. L’apparition, il y a 150 millions d’années, des ancêtres de nos oiseaux a pu aussi précipiter leur déclin. Ils n’étaient plus les seuls prédateurs volants. De chasseurs, ils étaient devenus proies, d’autant que leurs grande ailes molles étaient bien moins performantes que celles des libellules actuelles.
Il y a 60 millions d’années, apparaissent les odonates, dont font partie libellules et demoiselles. Les odonates adultes se distinguent par deux paires de longues ailes, de très gros yeux et un corps allongé. Leurs yeux très développés leur permettent d’être de très bons chasseurs. Ils présentent des caractéristiques archaïques uniques dans le règne animal. Ainsi les redoutables carnassières que sont leurs larves capturent leurs proies grâce à leur lèvre inférieure, appelée labium ou masque, sorte de bras articulé muni de deux crochets à venin, qu’elles peuvent déployer.
Le mot libellule pourrait venir du latin libella, l’instrument qui sert à faire le niveau, et ferait ainsi référence au vol horizontal de nos insectes. Si les demoiselles ont un vol lent et maladroit, les libellules, elles, volent avec beaucoup d’adresse.
Une métamorphose incomplète
Rémy Chauvin a dit en 1941 que nos odonates commencent leur vie comme nageurs de combat et la finissent comme pilotes de chasse. Si la libellule adulte est fille de l’air, il n’en est pas de même pour la larve ou naïade qui est exclusivement aquatique. La femelle dépose ses œufs dans l’eau, la végétation aquatique ou le sol humide. Vient ensuite la naïade dont la durée de vie est très variable selon les espèces, de quelques mois à quatre ans. Les odonates appartenant au grand groupe des arthropodes (invertébrés à pattes articulées), ils doivent se débarrasser de leur squelette externe pour grandir, d’où une succession de mues, jusqu’à une dizaine de fois. Au terme de sa croissance, la larve grimpe sur une plante pour sortir de l’eau et s’agrippe le mieux qu’elle peut à la végétation. Le jeune imago émerge au niveau dorsal de l’avant-corps (tête et thorax). Il ne prend pas tout de suite son envol afin de parfaire le déploiement et le durcissement de ses ailes. Il n’a que quelques semaines de vie devant lui et ne grandit plus. Il doit trouver un partenaire afin de se reproduire.
La libellule est dotée de trois paires de pattes et de deux paires d’ailes transparentes à nervures qui restent toujours ouvertes, même au repos. Sa tête ronde affiche deux yeux globuleux à multiples facettes, deux courtes antennes et de puissantes pièces buccales broyeuses. Ses yeux se touchent, contrairement à ceux de la demoiselle. Elle mesure jusqu’à 7 cm de long pour une envergure pouvant atteindre 11 cm.
La métamorphose des odonates se situe entre celle des insectes à transformation très incomplète (comme les collemboles, où l’adulte ressemble aux larves, tant morphologiquement qu’écologiquement) et celle de ceux à transformation complète (comme les papillons, où les imagos sont totalement différents des larves). Si la larve et l’imago de l’odonate évoluent dans deux milieux différents, la morphologie de la naïade ressemble, abstraction faite des ailes, à celle de l’adulte. La métamorphose est donc incomplète. Dans les Vanités du XVIIe siècle, ces tableaux qui enseignent le détachement des biens de ce monde par la représentation du crâne et de la fleur fanée, le papillon est un symbole de résurrection et de salut, tandis que la libellule, à la transformation incomplète, symbolise les difficultés de l’âme exilée sur terre avant de pouvoir accéder à la vie éternelle.
Précieux insectes
La libellule, par la grâce de ses déplacements, est aussi un symbole de liberté et de beauté. C’est un des emblèmes de l’Art nouveau, un courant artistique né à la fin du XIXe siècle qui s’appuie sur l’observation de la nature.
La libellule est utile. Elle aide à réguler la population de certains insectes indésirables, comme les moustiques. Les naïades se nourrissent de leurs larves, tandis que les imagos s’attaquent aux moustiques adultes. Certaines municipalités choisissent même de lutter contre le développement des moustiques tigres en renforçant la présence des libellules. L’emploi de produits chimiques est ainsi limité au maximum.
Les odonates sont très sensibles à la qualité des eaux et sont de bons indicateurs du milieu dans lequel ils évoluent. Certaines espèces tendent à disparaître du fait de la diminution des zones humides et de la pollution des rivières. L’entretien des berges avec ses fauches intempestives représente un vrai danger pour le cycle de reproduction des libellules. Ces insectes inoffensifs ont su s’adapter depuis des temps très anciens, mais il nous revient sans doute de les aider à surmonter les dangers de notre époque.
Une jolie demoiselle